mardi 12 novembre 2013

Les rois de l'hypothèque


Les lions d’aujourd’hui ne sont plus confinés à leur savane originelle. Ils ont en effet envahi les rues des villes et des banlieues, se perchant en paire devant l’entrée de certaines maisons et commerces. Mais d’où vient donc l'attrait pour ces statues? Pourquoi un lion plutôt qu’un canard? La légende urbaine voulant qu’ils signifient que le propriétaire de la demeure à laquelle ils sont associés a terminé de payer son hypothèque a-t-elle du vrai?
Tout d’abord il faut comprendre que dès les peintures de la préhistoire, l’art occupait une fonction mystique. La croyance voulait que la représentation d’un être donnait à l’artiste pouvoir sur ce dernier, lui permettait de s’attribuer ses qualités. Une statue de lion conserverait donc tous les attributs du fauve, symbole de royauté et de protection depuis des millénaires. 

Le Sphinx de Gizeh en est d’ailleurs probablement l’une des plus ancienne manifestation. Il fait face à l’est, donc au lever du soleil. Ce dernier apportait la vie au Égyptiens, car il était associé à la crue du Nil. Le début de l’année égyptienne selon le calendrier nilotique avait lieu vers le 14 juillet lors de cette crue annuelle, soit peu après le solstice d’été. Selon Plutarque, le soleil se trouvait à cette période de l’année dans le signe zodiaque du Lion, expliquant pourquoi des fontaines sous formes de gueule de lion étaient sculptées afin d'apporter l'eau du Nil aux Égyptiens. Le lion, principale composante du Sphinx, est donc analogue à l’astre dont il reprend la crinière dorée. Le pharaon s'ajoute à cette representation du lion-dieu solaire afin de veiller à la prospérité des Égyptiens.
Le lien lion/soleil se retrouve également dans la représentation du dieu Aker en paire de lion surveillant l'horizon, l'un avalant le soleil et l'autre le recrachant. Selon que que rapporte Horapollon dans sa Hieroglyphica, le lion était également déjà placé aux portes comme moyen de protection à cette époque:
"Voulant écrire celui qui veille, ou bien le gardien, ils dessinent une tête de lion, parce que le lion ferme les yeux quand il veille et les tient ouverts quand il dort, ce qui est le signe qu'il fait bonne garde. C'est pourquoi ils mettent des lions aux serrures des temples pour symboliser des gardiens." 
Des statues de lion gardiens se retrouvent à travers pratiquement toutes les civilisations antiques du Proche-Orient. Des fouilles archéologiques dans l'ancienne cité de Suse (en Iran actuel) on mis à jour une statue de lion gardien en calcaire datant du règne de Puzur-Inshushinak (XXIIIe - XXIIe siècle av. J.-C.).

 
Les Porte des Lions de Hattusa du royaume d'Anatolie (Turquie) datant de 1650 av. J.-C. en l'honneur du Dieu de l'Orage et de la Déesse Soleil en sont un autre exemple.


La Porte des Lions de Mycènes, ville fondée selon la légende par Persée, date de 1300 av. J.-C. et protégait le palais d'Agamemnon, chef des Achéens lors de la Guerre de Troie, contre divers ennemis et démons.

On dénote également la Parade de Lions de la Porte d'Ishtar du palais de Babylone, datant du VIe siècle av. J.C., qui était autrefois considérée comme l'une des Sept Merveilles du monde. Ishtar était comparée au lion pour sa férocité et sa nature guerrière, tout comme l'était la déesse Égyptienne Sekhmet (La Puissante), fille du dieu solaire Ra. Plus de détails dans ce vidéo (en anglais).



Le conquérant macédonien Alexandre Le Grand, souvent représenté sous les traits d’Hercule portant la peau du lion de Némée, a peut-être apporté ce symbolisme du lion en Inde, où l’on retrouve le Chapiteau aux lions d’Ashoka (240 av. J.-C.) depuis devenu l’emblème du pays.

Le lion n'était pas présent en Orient et sa représentation provient probablement de son contact avec l'Inde. Appelés Kamainu au Japon, les lions de pierre servent de protecteurs et séparent le monde profane du monde sacré. Ils se retrouvent en Chine dès la dynastie Han (206 av. J.-C. – 220).  Assurant la même fonction, ils sont un type de Ménshen (Dieu de la Porte) placés devant l'entrée pour chasser les mauvais esprits. Les lions de pierre gardant les yamens (palais de justice) avaient également la réputation de prendre vie la nuit tombée. 

Les lions asiatiques sont traditionnellement sculptés dans une pierre comme le marbre et le granite, en bronze ou en fer. Les coûts élevés de ces matériaux font en sorte que leur usage était généralement réservé aux familles fortunées et à l'élite. Placé devant la maison familiale afin d’apporter santé et prospérité, ils représentent également un symbole de statut social. On voit une coutume similaire chez les rois médiévaux européens qui gardaient des lions dans leur ménagerie afin d'impressionner et de symboliser leur pouvoir.
Comme le décrivent ces représentations assyriennes datant de 645-635 av. J.-C., la chasse au lion était un rite de passage pour les princes voulant accéder au trône. Certains mythes indiquent qu’un lion ne blesse jamais un prince de sang et lui montre son respect. En Thaïlande, la plus vieille famille royale retrace ses origines en la personne de Singh, né de l’union entre une princesse et d'un lion. Le lion est également fondateur de plusieurs dynasties dans la mythologie africaine.
Dans le Judaïsme, le lion est le symbole de la tribu de Juda, l'une des douze tribus d'Israël et celle dont sont issus les rois de Juda et les rois d'Israël de lignée davidique. Selon la tradition, le Messie doit descendre de la famille de David; le Christ est donc appelé le Lion de Juda. On retrouve un concept similaire dans d’autres religions: le lion est le quatrième avatar de Vishnu, Krishna est le lion parmi les animaux, Bouddha le lion des Shakkya.
Le lion est un symbole de la résurection du Christ car l'on croyait à l'époque que les lionceaux naissaient morts-nés et que la vie leur était insufflée par leur père trois jours plus tard. Le lion est également l'une des facettes des Hayoth/Tétramorphes, créatures des Saintes Écritures ayant l'aspect d'un ange à quatre ailes et quatre faces: celles d'un homme, d'un lion, d'un aigle et d'un taureau. Les quatre facettes représenteraient les quatre évangélistes; le lion étant Saint Marc. La dépouille de l'évangéliste aurait été dérobée d'Alexandrie par des marins vénitiens et rammenée à Venise. Saint Marc serait alors devenu le saint patron de la ville et le lion ailé Tétramorphe son emblème. 

Est-ce à cause de cela qu’on associe souvent lion de pierre aux Italiens? Je l'ignore, mais craignant moi même une future hypothèque, je peux comprendre pourquoi ceux qui ont pu s'en libérer se sentent comme des rois!