Les lions d’aujourd’hui ne sont
plus confinés à leur savane originelle. Ils ont en effet envahi les rues des
villes et des banlieues, se perchant en paire devant l’entrée de certaines
maisons et commerces. Mais d’où vient donc l'attrait pour ces statues?
Pourquoi un lion plutôt qu’un canard? La légende urbaine voulant qu’ils
signifient que le propriétaire de la demeure à laquelle ils sont associés a
terminé de payer son hypothèque a-t-elle du vrai?
Tout d’abord il faut comprendre
que dès les peintures de la préhistoire, l’art occupait une fonction mystique.
La croyance voulait que la représentation d’un être donnait à l’artiste pouvoir
sur ce dernier, lui permettait de s’attribuer ses qualités. Une statue de lion
conserverait donc tous les attributs du fauve, symbole de royauté et de
protection depuis des millénaires.
Le Sphinx de Gizeh en est
d’ailleurs probablement l’une des plus ancienne manifestation. Il fait face à
l’est, donc au lever du soleil. Ce dernier apportait la vie au Égyptiens, car
il était associé à la crue du Nil. Le début de l’année égyptienne selon le
calendrier nilotique avait lieu vers le 14 juillet lors de cette crue annuelle,
soit peu après le solstice d’été. Selon Plutarque, le soleil se trouvait
à cette période de l’année dans le signe zodiaque du Lion, expliquant pourquoi
des fontaines sous formes de gueule de lion étaient sculptées afin d'apporter
l'eau du Nil aux Égyptiens. Le lion, principale composante du Sphinx, est donc
analogue à l’astre dont il reprend la crinière dorée. Le pharaon s'ajoute à
cette representation du lion-dieu solaire afin de veiller à la prospérité des
Égyptiens.
Le lien lion/soleil se retrouve
également dans la représentation du dieu Aker en paire de lion surveillant l'horizon, l'un avalant le soleil et l'autre le recrachant.
Selon que que rapporte Horapollon dans sa Hieroglyphica,
le lion était également déjà placé aux portes comme moyen de protection à cette
époque:
"Voulant écrire celui qui veille, ou bien le gardien, ils dessinent une tête de lion, parce que le lion ferme les yeux quand il veille et les tient ouverts quand il dort, ce qui est le signe qu'il fait bonne garde. C'est pourquoi ils mettent des lions aux serrures des temples pour symboliser des gardiens."
Des statues de lion gardiens se
retrouvent à travers pratiquement toutes les civilisations antiques du
Proche-Orient. Des fouilles archéologiques dans l'ancienne cité de Suse (en
Iran actuel) on mis à jour une statue de lion gardien en calcaire datant du
règne de Puzur-Inshushinak (XXIIIe - XXIIe siècle av. J.-C.).
Les Porte des Lions de Hattusa du
royaume d'Anatolie (Turquie) datant de 1650 av. J.-C. en l'honneur du Dieu de l'Orage
et de la Déesse Soleil en sont un autre exemple.
La Porte des Lions de Mycènes,
ville fondée selon la légende par Persée, date de 1300 av. J.-C. et protégait le
palais d'Agamemnon, chef des Achéens lors de la Guerre de Troie, contre divers ennemis
et démons.
On dénote également la Parade de Lions
de la Porte d'Ishtar du palais de Babylone, datant du VIe siècle av. J.C., qui était autrefois considérée comme l'une des Sept Merveilles du monde. Ishtar était comparée au lion pour
sa férocité et sa nature guerrière, tout comme l'était la déesse Égyptienne
Sekhmet (La Puissante), fille du dieu solaire Ra. Plus de détails dans ce vidéo (en anglais).
Le conquérant macédonien
Alexandre Le Grand, souvent représenté sous les traits d’Hercule portant la peau
du lion de Némée, a peut-être apporté ce symbolisme du lion en Inde, où l’on
retrouve le Chapiteau aux lions d’Ashoka (240 av. J.-C.) depuis devenu l’emblème du
pays.
Le lion n'était pas présent en Orient
et sa représentation provient probablement de son contact avec l'Inde. Appelés Kamainu au Japon, les lions de pierre servent de protecteurs
et séparent le monde profane du monde sacré. Ils se retrouvent en Chine dès la
dynastie Han (206 av. J.-C. – 220). Assurant la même fonction, ils sont un type de Ménshen (Dieu
de la Porte) placés devant l'entrée pour chasser les mauvais esprits. Les
lions de pierre gardant les yamens (palais de justice) avaient également la
réputation de prendre vie la nuit tombée.
Les lions asiatiques sont traditionnellement sculptés dans une pierre comme le marbre et le granite, en
bronze ou en fer. Les coûts élevés de ces matériaux font en sorte que leur usage
était généralement réservé aux familles fortunées et à l'élite. Placé devant la maison familiale afin
d’apporter santé et prospérité, ils représentent également un
symbole de statut social. On voit une coutume similaire chez les rois médiévaux européens qui
gardaient des lions dans leur ménagerie afin d'impressionner et de symboliser leur pouvoir.
Comme le décrivent ces représentations assyriennes datant de 645-635 av. J.-C., la chasse au lion était un rite de passage pour les
princes voulant accéder au trône. Certains mythes indiquent qu’un lion ne blesse
jamais un prince de sang et lui montre son respect. En Thaïlande, la plus
vieille famille royale retrace ses origines en la personne de Singh, né de
l’union entre une princesse et d'un lion. Le lion est également fondateur de plusieurs dynasties dans la
mythologie africaine.
Dans le Judaïsme, le lion est le
symbole de la tribu de Juda, l'une des douze tribus d'Israël et celle dont
sont issus les rois de Juda et les rois d'Israël de lignée davidique. Selon la tradition, le Messie doit descendre de la famille de David; le Christ est
donc appelé le Lion de Juda. On retrouve un concept similaire dans d’autres
religions: le lion est le quatrième avatar de Vishnu, Krishna est le lion parmi
les animaux, Bouddha le lion des Shakkya.
Le lion est un symbole de la
résurection du Christ car l'on croyait à l'époque que les lionceaux naissaient
morts-nés et que la vie leur était insufflée par leur père trois jours plus
tard. Le lion est également l'une des facettes des Hayoth/Tétramorphes,
créatures des Saintes Écritures ayant l'aspect d'un ange à quatre ailes et
quatre faces: celles d'un homme, d'un lion, d'un aigle et d'un taureau. Les
quatre facettes représenteraient les quatre évangélistes; le lion étant Saint Marc. La dépouille de l'évangéliste aurait été dérobée d'Alexandrie par des marins vénitiens et rammenée à
Venise. Saint Marc serait alors devenu le saint patron de la ville et le lion
ailé Tétramorphe son emblème.
Est-ce à cause de cela qu’on associe souvent lion
de pierre aux Italiens? Je l'ignore, mais craignant moi même une future hypothèque, je peux comprendre pourquoi ceux qui ont pu s'en libérer se sentent comme des rois!