Suite à la défaite du Japon
lors de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis et l’U.R.S.S. se partagèrent
la péninsule coréenne (qui était précédemment sous contrôle japonais) en ce qui
allait devenir la Corée du Nord et du Sud. Opposant par un simple parallèle
deux idéologies diamétralement opposées une future guerre était inévitable et
le conflit éclata en 1950 lors de l’invasion des forces du nord. Devant
affronter les Nord-Coréens ainsi que leurs alliés Soviétiques et Chinois, les
États-Unis se trouvèrent également confrontée à un ennemi plus sournois.
Plusieurs soldats devenus prisonniers reniaient l’idéologie américaine et
capitalisme à la radio soviétique moins de 48h après leur capture. Pire encore,
après leur libération, ils continuaient à promouvoir le communisme et
souhaitaient quitter les États-Unis au plus vite. La chose était claire pour la
C.I.A. : les rouges avaient développé une technique efficace de lavage de
cerveaux.
Il était impératif de
comprendre comment ils s’y prenaient et comment le faire mieux qu’eux. Une
large part du budget de la C.I.A. fut donc destinée au projet MK-Ultra qui
finançait les recherches de différentes universités afin de trouver comment
influencer et contrôler les esprits dans le but de faire oublier à un
prisonnier un interrogatoire, d’augmenter les capacités de perception des
soldats ou afin de de programmer un assassin latent pouvant être activé à
distance. Nécessitant des cobayes humains, on pigeait parmi les indésirables de
la société : drogués, prisonniers, prostituées, malades mentaux, etc. Le
tout s’effectuait sous différents prête-noms afin de ne pas attirer l’attention
sur le but réel derrière les bourses accordées. C’est ainsi que sous le nom de
la Society for the Investigation of Human Ecology, la C.I.A. s’est retrouvée à
financer les expériences du psychiatre Ewen Cameron, à la tête de l’Institut Allan Memorial à Montréal.
Institut Allan Memorial, anciennement connu sous le nom de Ravenscrag.
Il ne manque que l'éclair en arrière plan.
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Fondé en 1944, l’Allan
Memorial se démarquait des autres institutions dédiées à la santé mentale de
l’époque par sa façon de traiter ses patients comme des invités et non des
prisonniers. Aucune porte n’était fermée à clé, les patients pouvaient
retourner dans leur famille après leur traitement, etc. Il était impératif pour
le processus de guérison que les patients soient volontaires. Son directeur, le
docteur Cameron, était une pointure internationale de la psychiatrie, tour à
tour président des associations psychiatriques américaine, canadienne et
mondiale. Lors des procès de Nuremberg, il était parmi ceux appelés à évaluer
l’état mental du nazi Rudolph Hess. Malgré tout cela, les ambitions du docteur
n’étaient pas comblées. Il souhaitait trouver un remède éclair et universel
pour la maladie mentale; comment réussir à effacer les comportements malades de
la psyché de ses patients et réussir d’y introduire de nouveaux raisonnements
plus sains et productifs? Bref, un projet sur mesure pour le MK-Ultra.
Session de "Psychic driving", tiré de:
« Psychiatrists develop beneficial
brainwashing »
Weekend Magazine, 1955
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De 1957 à 1963, la C.I.A.
s’est donc retrouvée à financer le traitement expérimental de Cameron, qui avaient
débutées quelques années auparavant. Le traitement se divisait en deux étapes,
le pilotage psychique (psychic driving) et la déstructuration (depatterning). Inspiré
en partie par Le Meilleur des Mondes d’Aldous Huxley, le pilotage psychique
consiste à une répétition en boucle de phrases provenant des patients
eux-mêmes, enregistrés lors d’une session avec le thérapeute, ou de phrases enregistrées
directement par ce dernier. Cameron a découvert qu’avec un nombre suffisamment
élevé de répétition, les mécanismes de défenses psychologique de ses patients
s’effaçaient permettant ainsi aux messages voulus de s’implanter plus facilement
dans le subconscient. Par exemple, il fit jouer en boucle à une dépressive un
extrait de sa séance où elle racontait que sa mère la menaçait de l’abandonner
plus jeune. Après 19 répétitions, la femme était agacée, s’entendre l’énervait
et elle se mettait à trembler légèrement. Après 39 répétions, elle en était à
supplier en hurlant que ça s’arrête mais après 45 répétitions elle éclata en
sanglot racontant son malaise avec les hommes, son inhabilité à s’affirmer et à
quel point elle enviait sa sœur depuis toujours. Pour Cameron, ce même résultat
aurait normalement pris des mois de consultations. Il peut être difficile de
croire que les diffusions en boucle du pilotage psychique peuvent avoir cet
effet mais on retrouve des principes similaires dans différentes religions afin
d’accéder à un état altéré de conscience.
Que ce soit le mantra des hindouistes et bouddhistes ou le dikhr des soufis musulmans, la répétition s’accompagne d’un état de transe permettant de
s’élever spirituellement. Les patients du Allan Memorial auraient-ils ressenti
des effets similaires?
Tiré de Mechanix Illustrated, 1958 |
Il était très difficile de
garder les patients en place lors de ces séances des plus désagréables. Sous le
prétexte de la nécessité du traitement, des casques de football munis
d’haut-parleurs furent attachés à la tête des patients, leur donnant
l’impression que les voix provenaient de l’intérieur. Encore une fois, le
désagrément était tel que les patients s’arrachaient le casque de la tête pour
le lancer au loin. En 1953, Cameron modifia un Cerebrophone, gadget proclamant
pouvoir enseigner de nouvelles langues en plein sommeil, afin de continuer les
séances de pilotage en pleine nuit dans une pièce nommée adéquatement « la
chambre de sommeil » (sleep room). Mais les nuits n’étant pas assez
longues, le sommeil des patients fut prolongé grâce à de la Thorazine, des barbituriques,
de l’insuline ou du curare afin que les sujets dorment en continu sur des
périodes de traitement allant de 6 semaines à 3 mois. Les sessions de pilotage
psychique, initialement de 30 minutes par semaine, augmentèrent alors jusqu’à
20 heures par jour.
Les Russes et les Chinois isolaient
leurs prisonniers afin d’en tirer davantage d’eux lors des interrogatoires.
Tout comme eux, Donald Hebb (un autre chercheur affilié à McGill, au
département de psychologie) découvrit que la privation sensorielle augmentait la
suggestibilité des sujets. Ses sujets d’expérimentation, des étudiants
volontaires de l’université, étaient isolés durant des heures en écoutant du « bruit
blanc » en continu. Ils ont par la suite décrit l’expérience comme une
torture; quelques heures après le début ils étaient incapable de maintenir le
fil de leurs pensées et certains ont décrit des hallucinations visuelles et
auditives. Dans une seconde partie de l’expérience, les chercheurs remplacèrent
le « bruit blanc » par une série de propagande ésotérique et
anti-évolutionniste, qui aurait normalement rebutée tout universitaire.
Cependant ceux-ci devenaient si avides de donnée sensorielle qu’ils donnaient
dorénavant de l’importance et de la crédibilité aux messages auxquels ils
étaient exposés, allant même à la bibliothèque chercher de livres sur la
transmission de pensée et les fantômes! Dans leur état de demi sommeil, ou état
hypnagogique, les patients du Allan Memorial se sont donc retrouvés dans un
état de privation sensorielle tel que leur personnalité, leur ego, s’est
progressivement dissout les laissant plus ouvert à la suggestion du pilotage
psychique.
Malgré toutes ces répétitions,
les nouveaux comportements suggérés aux patients se retrouvaient généralement
en conflit avec leur personnalité profonde. La solution serait donc d’effacer
cette personnalité première afin de laisser place à la nouvelle, et ce via la
déstructuration. En plus des drogues destinées au sommeil, on ajouta au
cocktail méthamphétamine, amobarbital sodique (sérum de vérité) et LSD afin de forcer
une désinhibition et d’accéder aux souvenirs et sentiments généralement
inaccessibles. Dans les années soixante, le psychiatre Stanislav Grof étudia
les propriétés thérapeutiques du LSD et dénota qu’un usager régulier de LSD
passait graduellement à travers trois stades. D’abord une euphorie, un sentiment
d’extase et de puissance suivi d’une descente aux enfers, expérience qui peut
être assez traumatisante chez certains. Cependant, ceux qui poursuivre leur
usage semblent atteindre un troisième état, une sorte de « renaissance »
où ils sentent leur personnalité se dissoudre, appartenant maintenant à un « Tout ».
Dans cet état, certains sujets disent accéder à leurs souvenirs les plus
profonds, régressant jusqu’au moment de leur naissance et même parfois plus
loin, à ce qu’on pourrait appeler leurs « vies antérieures ». Ceux
qui atteignent cet état voient généralement de grands changements à leur
personnalité : leur dépression et leur anxiété est réduite, ils sont
dorénavant plus en symbiose avec la nature, apprécient davantage l’art; bref
ils deviennent hippies. De récentes études suisses confirment cette réduction
de l’anxiété et proposent le LSD comme médication pour la dépression, les chocs
post-traumatiques et pour aider les patients en phase terminale afin d’apprivoiser
la mort. Les effets décrits sont même très similaires à ceux recherchés par
Cameron: « Les patients interrogés lors de l’étude font référence à une « déstructuration »
en terme de modèles physique, psychologiques et de pensée précédemment fixes,
conduisant à une plus grande relaxation, un calme imperturbable et une meilleure
acceptation de soi et de leur situation de base. » (traduction libre)
Zones du cerveau contribuant à la vision, avec et sans LSD
Source: Imperial College London
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Aux drogues s’ajoutait un
traitement quotidien d’électrochocs constitué d’un choc initial de 150 volts
sur une durée d’une seconde suivis d’une répétition de 5 à 20 chocs de 100
volts, ce d’une à deux fois par jour. À titre comparatif, un traitement
habituel d’électrochocs se compose de chocs de 70 à 130 volts, d’une durée de
0.1 à 0.5 secondes, une fois par jour. Bien qu’encore aujourd’hui on ne
réussisse pas très bien à expliquer comment le processus fonctionne, il est
démontré qu’un traitement de cette force, utilisé surtout pour traiter la
dépression, peut causer une amnésie temporaire de quelques semaines, voire
possiblement permanente. Pour ce qui est des patients de l’Allan Memorial, on
rapporte une régression à un état mental de 4 ans accompagné d’une perte de
mémoire, d’une apathie générale et d’incontinence. Cet état se résorbait
généralement après une période de 7 à 10 jours mais les 2-3 mois précédant le
début du traitement étaient totalement effacés de la mémoire des sujets.
Cameron quitta l’Institut en
1964 et décéda 3 ans plus tard. Son traitement qui devait au départ s’appliquer
dans les cas de psychonévroses fut finalement testé au cours des années sur des
alcooliques, des déprimés, des schizophrènes et même une patiente qui se
plaignant de mal articulatoire fut diagnostiquée comme souffrant de douleurs psychosomatiques.
Bien que la Gazette eût décrit ses expériences dès 1957, le grand public ne
réalisa l’ampleur de la chose qu’en 1977 où suite à un article du New York
Times qui révéla au grand jour les dessous du MK-Ultra, le Congrès américain enquêta sur les pratique de la C.I.A. Suivirent ensuite une saga juridique où
des anciens patients de l’Institut dont la vie fut brisée par leur séjour
poursuivirent en justice la C.I.A. Après plus d’une décennie de procédures, les
victimes eurent gain de cause et suivit une nouvelle poursuite, cette fois
contre le gouvernement canadien. Ce dernier avait en effet pris le relais du
financement suite au retrait des américains…
Dans toute cette affaire, le
fait qu’on ait administré un traitement expérimental et cruel à des patients
sans leur consentement éclipsa un élément important du dossier. Au-delà du
manque d’éthique dans ses expérimentations, le docteur Cameron était-il sur une
quelconque piste quant à la découverte d’une technique de lavage de cerveaux?
Il ne s’agissait pas d’un amateur, mais d’une sommité de la psychiatrie à son
époque. Officiellement, les expériences financées par le MK-Ultra ne connurent
pas de succès. Cependant, en 1963, le psychologue et hypnotiseur George
Estabrooks avoua avoir créé des assassins à personnalité multiple. Cinq ans
plus tard, Robert F. Kennedy était assassiné par Sirhan Sirhan. Pour sa
défense, ce dernier clama qu’il était sous contrôle hypnotique lors de l’assassinat. Si l’histoire vous dit quelque chose, c’est probablement à cause
de sa similitude avec The Manchurian
Candidate, roman de Richard Condon adapté au cinéma en 1962 et 2004.
Après pratiquement 50 ans
derrière les barreaux, Sirhan maintenait toujours sa version des faits lors de
sa dernière comparution pour libération conditionnelle le 10 février dernier.
Paul Shrade, qui fut blessé par balle lors de l’assassinat, était même là pour défendre la théorie du prisonnier en soutenant qu’il est victime d’une
conspiration et qu’il devait y avoir un second tireur d’impliqué. La demande
fut rejetée et la prochaine audience est prévue pour 2021. Pour les tenants de
la théorie du complot, une chose est sûre : au-delà des drogues, des
électrochocs et des répétitions en boucle, rien n’efface mieux la mémoire que
le temps.
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