jeudi 5 mai 2016

Une pointe de justice


Au printemps dernier, la justice a tranché. Aux yeux de la Cour supérieure du Québec, une focaccia est légalement une pizza. Qu’est-ce qui a bien pu amener notre système judicaire d’ajouter cette décision à son menu? Un conflit entre les franchises Mikes et Trattoria Tevere situées dans la foire alimentaire du Complexe Desjardins à Montréal. Voici les détails croustillants.

Être ou ne pas être une pizza, là est la question
Installé depuis 2005 au Complexe Desjardins, Chawky Abdallah dû s’affilier à une franchise afin de suivre les règles des propriétaires de l’établissement et s’associa donc à la chaîne Trattoria Tevere, reconnue pour ses spécialités italiennes, en février 2015. À son menu, des foccacias avec différentes garnitures, dont une appelée foccacia-pizza. Ce qu’il ignorait cependant, est que son voisin Mikes avait signé en 2004 un bail de 15 ans avec le Complexe incluant une clause d’exclusivité sur la vente de pizzas.

L’affaire alla donc devant les tribunaux. Pour le maître Marco Vitale, qui assura la défense de la Trattoria Tevere et qui représente régulièrement des restaurateurs, c’était la première fois qu’il devait argumenter sur la définition légale d’un met. Il appela donc à la barre des témoins les experts en définition : les dictionnaires. Une pizza a une pâte pétrie, arrondie, travaillée avec une technique propre, alors qu’un focaccia est généralement un pain constitué d’une base d’huile d’olive. Malgré cela, le 9 mars 2015, l’honorable juge Pierre Labelle indiqua que :

« Dans la mesure où la focaccia constitue une base de pain recevant des garnitures, elle possède les attributs d’une pizza, a ajouté le juge. Trattoria Tevere vend des pizzas [...] sous d’autres vocables. » 

Il est effectivement difficile d’argumenter contre le fait qu’une « foccacia-pizza » a les attributs d’une pizza, mais ce n’est pas ce qui est souligné dans le jugement ci-haut : Base de pain avec garniture = pizza. Quel précédent un tel jugement peut-il constituer? Est-ce qu’aux yeux de la loi, une lahmadjoune est une pizza? Et une tourte? Un sous-marin? Ma tranche de beurre de pinottes?

Nous ne sommes pas le seul endroit à se poser la question au point tel que les juges s’en mêlent. Chez nos voisins du sud, le juge de la Cour Suprême Antonin Scalia (originaire de Queens, New York) a déjà prononcé que ce qu’on appelle la « Deep Dish Pizza » ou « Pizza style Chicago » (où la pâte est d’abord couverte de fromage puis d’une immense quantité de sauce tomate et ensuite cuite dans une poêle) n’est pas réellement une pizza. Cela inspira une délicieuse montée de lait à l’animateur du Daily Show Jon Stewart.


La pizza a une si grande place dans l’alimentation américaine qu’elle est considérée comme un légume. En fait, il s’agit plutôt de la sauce tomate qui entre dans la catégorie des légumes : un huitième de tasse équivaut à une demie tasse de légumes frais. Les deux cuillères à soupes présentes dans la sauce à pizza en font donc une portion de légumes.

Qu’elle que soit sa définition aux yeux des juristes, la décision du tribunal a laissé un goût amer à Monsieur Abdallah. Bien qu’il puisse continuer à vendre des focaccias tant qu’elles ne contiennent pas de fromage ni de sauce tomate (donc moins nutritives pour les touristes américains), son chiffre d’affaire a baissé de 45 à 50% environ. Après des dépenses de 250 000$ afin de tout changer son affichage et une récente hausse de loyer de 3000$, il n’a plus les moyens de payer pour les frais légaux qui lui permettraient de défendre sa cause davantage. La prochaine fois que vous passez par-là, achetez-lui donc une focaccia, ça va aider à la digestion.

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