lundi 30 mai 2016

Maçons à moto

Chaque année, lorsque le printemps pointe le bout de son nez et que le beau temps revient, il n’est pas long que les adeptes de la moto s’empressent d’enfourcher leur monture de fer afin de parcourir les routes. En ce début de saison, il est donc important de se rappeler les consignes de sécurité afin de ne pas partir pour un plus long voyage encore. Tant qu’à être prudent, pourquoi ne pas également demander un peu de protection divine?

Le 28 mai dernier avait lieu à l’Oratoire Saint-Joseph la 36e édition de la bénédiction annuelle des motocyclistes. Tous rassemblées sur son large stationnement, les membres de diverses associations de motocyclistes se côtoyaient, admirant les motos de leur semblable tout en attendant la venue des prêtres. L’événement est organisé par Moto Internationale, un important concessionnaire de la ville, mais peu de gens savent qu’ils sont appuyés dans leur démarche par un club de moto bien particulier, les Widow’s Sons, formé entièrement de francs-maçons.

Membre des Widow's Sons ayant
la franc-maçonnerie dans la peau
Pour faire une longue histoire courte, la franc-maçonnerie est une confrérie officiellement présente depuis 1717 mais certains remontent sa source à l’ordre médiévale des Templiers ou même aux cultes à mystère de l’Antiquité. Au Québec, la confrérie y est présente depuis les débuts de la colonie; Wolfe et Montcalm auraient été francs-maçons selon la légende. D’abord présente au sein des régiments militaires, des loges (regroupements) sont ensuite apparues dans la communauté marchande et ainsi de suite. Plusieurs versions différentes de la confrérie existent mais l’une des plus importante ici est la franc-maçonnerie dite « régulière » représentée par la Grande Loge du Québec. Leur but est de suivre le plus fidèlement possible les règles établies lors de la fondation de leur maison mère, la Grande Loge Unie d’Angleterre. Cela dit, au sein de cette organisation se trouve plusieurs embranchements des plus diversifiés. Certains ordres préfèrent suivre les enseignements des Rosicruciens ou des Égyptiens mais nous retrouvons également les Shriners, qui sont derrière le cirque du même nom et l’hôpital Shriners pour enfants, ainsi que les Widow’s Sons pour les fans de motos.

Ces motards sont reconnaissables par leur insigne incluant plusieurs symboles, telle que la pyramide symbolisant l’ascension et les 3 degrés maçonniques, le soleil à son sommet pour la quête d’illumination, l’œil au centre afin de représenter le regard constant du Grand Architecte de l’Univers et les ailes pour la quête de liberté. Leur nom, signifiant « Fils de la Veuve » se réfère à l’une des légendes fondatrices de la franc-maçonnerie, celle du meurtre d’Hiram Abiff, architecte du Temple de Salomon assassiné pour avoir refusé de révéler ses secrets à des ouvriers jaloux. Hiram était également surnommé le « fils de la veuve », ayant comme mère une veuve de la tribu de Nephthali, l’une des 12 tribus d’Israël. Les francs-maçons poursuivant l’œuvre d’Hiram, ont donc reprit son surnom.

L’association du club de motards avec la veuve va cependant plus loin. Comme me l’explique le Maître Maçon Wayne Houlzed, membre des Widow’s Sons, leur club a pour mission de prendre soin des veuves et des orphelins de leurs frères maçons. Les temps étant moins durs qu’au début de la maçonnerie, l’argent amassé par les différentes levées de fond auxquelles ils participent se voit redistribuée afin de prendre soin des enfants en général. Beaucoup de membres du chapitre québécois étant également Shriners, les fonds sont souvent donnés à l’hôpital Shriners pour enfants de Montréal. Lors de la journée de bénédiction, un jeune garçon originaire du Ghana présentement traité à Montréal rappelait aux motards de toute horizon l’importance de donner généreusement. Ces derniers ont pu le faire en participant à un moitié-moitié et une collecte de jouets, le tout organisé par les Widow’s Sons.

C’est probablement grâce à de tels gestes de charité qu’un événement organisé par francs-maçons puisse aujourd’hui avoir lieu sur le terrain de l’Oratoire St-Joseph. En effet la relation entre l’Église Catholique et la confrérie n’a pas toujours été très bonne au siècle dernier, les maçons ayant milités pour une séparation de l’Église et de l’État. Le climat social est maintenant bien différent et tel que l’explique Patrick Vézina, vice-recteur à la pastorale, l’Oratoire est un lieu ouvert à tous peu importe les croyances. De tels événements telle qu’une bénédiction des motocyclistes n’a rien d’étranger pour lui; quelques semaines plus tôt avait lieu une bénédiction spéciale pour les propriétaires de voitures Mustang! Bien qu’une bénédiction générale s’adressant à tous et ne prenant que quelques minutes serait efficace spirituellement parlant, Monsieur Vézina et d’autres membres du clergé prennent toutefois le temps de passer entre les rangées de motos afin de les bénir individuellement ainsi que leur propriétaires Il explique que ce service personnalisé est demandé par la population, qu’elle a besoin de concret, de symboles qui laissent une certaine trace telle que l’eau bénite trempant encore leur moto lors de leur départ du stationnement.

Patrick Vézina effectuant une bénédiction
En espérant que les effets de la bénédiction ne s’évaporent pas aussi vite que l’eau, souhaitons une bonne saison de moto à tous, qu’ils parcourent la route dans le but de poursuivre la construction de leur Temple mystique ou uniquement afin de profiter du beau temps.

vendredi 20 mai 2016

Une nouvelle cité pour une nouvelle étoile



Le 18 mai dernier s’ouvrait l’édition 2016 de l’Expo-sciences pancanadienne au complexe athlétique de l’université McGill. Pendant trois jours, plus de 500 futurs savants du pays compétitionnent pour plus de 1 000 000$ en bourses d’études. Parmi les jeunes scientifiques qui présentent leurs recherches allant de l’impact du crachat sur le taux de glycémie dans le sang à la création d’un bracelet permettant aux non-voyants de se déplacer via écholocation, un participant sort du lot. Bien que l’exposition ne débute qu’à 10h, certains depuis plus d’une heure, vêtus d’un poncho pour l’occasion, devant le kiosque vide de la nouvelle coqueluche controversée de l’univers scientifique québécois : William Gadoury.

La nouvelle publiée par le Journal de Montréal il y a une dizaine de jours indiquant qu’il aurait découvert un citée maya perdue en s’appuyant sur une corrélation jusqu’ici inconnue entre le positionnement des constellations mayas et l’emplacement de leurs cités a depuis fait le tour de la planète. Les médias se l’arrachent au point tel que les organisateurs de l’événement avertissent les fans du jeune homme qu’il risque d’être absent pour toute la journée. Puis soudainement, se déplaçant au sein d’un troupeau de micros et de caméras, il arrive. L’attention est tellement captée par le jeune prodige de l’astronomie que peu remarquent qu’au même instant, à quelques pas de là, défile Chris Hadfield quasi anonymement.

C’est en s’intéressant aux supposées prophéties de fin du monde de 2012 que le jeune William attrape la piqure pour les Mayas. Il y découvre un peuple complexe ayant un penchant pour l’astronomie. Trouvant étrange le positionnement de leurs citées (loin des points d’eau, au sommet de montagnes, en terres peu fertiles), il se demande s’il n’y aurait pas un lien avec les astres. Il se décide alors de contacter l’Agence spatiale canadienne afin d’obtenir des cartes des étoiles surplombant le ciel de la région et découvre en 2014, du haut de ses treize ans, une corrélation quasi parfaite entre le positionnement des citées et leur alignement vis-à-vis les constellations. Selon William, plus l’étoile associée est brillante, plus son vis-à-vis terrestre avait de l’importance. Et ça ne s’arrête pas là, sa théorie s’appliquerait également à d’autres civilisations précolombiennes telles que les Aztèques et les Incas mais également aux civilisations harappéennes dans les régions de l’Inde et du Pakistan. Comment est-ce possible? William en a aucune idée, une découverte à la fois…


Ce n’est cependant pas la première fois qu’une théorie similaire voit le jour. En fait, un champ d’étude complet se consacre à l’étude du lien entre les corps célestes et les vestiges des anciennes civilisations : l’archéoastronomie. Les sujets d’études vont du rapport qu’entretient le site de Stonehenge avec les équinoxes qu’à l’alignement des pyramides d’Égypte avec les points cardinaux. Une des théories à propos des pyramides est qu’il existerait une corrélation entre le positionnement des célèbres pyramides de Gizeh et les étoiles composant le Baudrier d’Orion. Comme nous le verrons sous peu, cette constellation joue un rôle crucial dans la découverte de William.

Mais tout d’abord : comment est-ce possible que des civilisations aussi éloignées que celles d’Égypte et d’Amérique centrale partagent un intérêt pour les mêmes constellations issues de la culture greco-romaine? Bien que les représentations mythologiques des constellations varient d’une culture à l’autre, les étoiles qui les composent restent les mêmes. Une importance particulière est souvent portée aux étoiles suivant certains axes célestes. Notre zodiaque est basé sur les constellations suivant l’écliptique (trajectoire du soleil dans le ciel du point de vue de la Terre), alors que d’autres civilisations posèrent davantage leur regard sur celles suivant l’équateur céleste ou la Voie lactée, comme ce fut le cas pour les Mayas qui y voyaient la représentation du tronc de l’Arbre de Vie de leurs mythes.

Glyphe représentant la
Tortue et les 3 pierres

Pour en revenir à William, une chose clochait cependant : un trou se dessinait dans ses tracés célestes. Afin de compléter les liaisons qui pour nous forment Orion, il manquait une cité pour associer à l’étoile Saïph et ainsi clore le triangle formé avec les étoiles Rigel et Alnitak à l’intérieur duquel apparaît la nébuleuse d’Orion. Pour les Mayas, ces étoiles font partie de la constellation de la Tortue et les trois étoiles en question représentent les « ox tun », trois pierres qui soutiendraient le monde selon la légende, la nébuleuse en son centre représentant le feu cosmique créateur. Cette représentation se trouvaient également dans les habitations mayas où trois pierres posées dans le foyer soutenaient la plaque à tortilla, le tout installé au centre de la demeure, microcosme de l’univers. On associe également aux trois pierres la particularité des pyramides dites « en triade », où la pyramide principale est surmontée de trois autres structures. L’exemple le plus grandiose se trouve au sommet du Complexe Tigre, dans la cité d’El Mirador. Il s’agit d’ailleurs de l’une des citées qui viendrait compléter le triangle de la constellation (l’autre étant Calakmul). Coïncidence?
Constellation de la Tortue et son lien avec Orion
Bref, il manquait une cité pour associer à Saïph mais qu’à cela ne tienne. Calculant la position que lui indique sa théorie et accédant à des images satellites via Google Earth, l’Agence spatiale canadienne, l’Agence spatiale japonaise et la NASA, il croit déceler la pièce manquante du puzzle. Un récent feu de forêt dans la région semble mettre à jour des formes géométriques non naturelles. Demandant l’avis du Dr. Armand LaRocque, spécialiste en télédétection à l’Université du Nouveau-Brunswick, William reçoit la grande nouvelle : on semble effectivement y apercevoir une pyramide et une trentaine de structures, ce qui l’en ferait l’une des plus importantes cités mayas découvertes à ce jour. Comme tout grand explorateur, William baptise sa découverte. Il la nomme K’àak’ Chi’ soit Bouche de feu en l’honneur du foyer créateur légendaire.

La nouvelle n’est pas sans créer de remous. Tant que ses recherches ne seront pas publiées par une revue scientifique et qu’une équipe ne se rendra pas sur place afin de confirmer sa théorie, la communauté scientifique aura du mal à avaler qu’un important secret de la civilisation maya se trouvait tout juste au-dessus de leur tête. Cependant ce n’est qu’une question de temps car plusieurs revues scientifiques l’auraient déjà approché afin qu’il démontre en plus de détails sa théorie au reste de la planète. De même, pendant les courts moments que nous avons passés ensemble une productrice de la Colombie-Britannique lui dévoilait son intérêt de financer l’expédition de William afin de tourner un documentaire.

Alors, n'avons-nous affaire qu’à une étoile filante? Si l’on se fie au fait qu’il vient de remporter la médaille d’or dans sa catégorie accompagnée de bourses totalisant 5 000$, je crois plutôt que le feu cosmique continuera d’attiser sa passion pour quelques années encore.

jeudi 5 mai 2016

Une pointe de justice


Au printemps dernier, la justice a tranché. Aux yeux de la Cour supérieure du Québec, une focaccia est légalement une pizza. Qu’est-ce qui a bien pu amener notre système judicaire d’ajouter cette décision à son menu? Un conflit entre les franchises Mikes et Trattoria Tevere situées dans la foire alimentaire du Complexe Desjardins à Montréal. Voici les détails croustillants.

Être ou ne pas être une pizza, là est la question
Installé depuis 2005 au Complexe Desjardins, Chawky Abdallah dû s’affilier à une franchise afin de suivre les règles des propriétaires de l’établissement et s’associa donc à la chaîne Trattoria Tevere, reconnue pour ses spécialités italiennes, en février 2015. À son menu, des foccacias avec différentes garnitures, dont une appelée foccacia-pizza. Ce qu’il ignorait cependant, est que son voisin Mikes avait signé en 2004 un bail de 15 ans avec le Complexe incluant une clause d’exclusivité sur la vente de pizzas.

L’affaire alla donc devant les tribunaux. Pour le maître Marco Vitale, qui assura la défense de la Trattoria Tevere et qui représente régulièrement des restaurateurs, c’était la première fois qu’il devait argumenter sur la définition légale d’un met. Il appela donc à la barre des témoins les experts en définition : les dictionnaires. Une pizza a une pâte pétrie, arrondie, travaillée avec une technique propre, alors qu’un focaccia est généralement un pain constitué d’une base d’huile d’olive. Malgré cela, le 9 mars 2015, l’honorable juge Pierre Labelle indiqua que :

« Dans la mesure où la focaccia constitue une base de pain recevant des garnitures, elle possède les attributs d’une pizza, a ajouté le juge. Trattoria Tevere vend des pizzas [...] sous d’autres vocables. » 

Il est effectivement difficile d’argumenter contre le fait qu’une « foccacia-pizza » a les attributs d’une pizza, mais ce n’est pas ce qui est souligné dans le jugement ci-haut : Base de pain avec garniture = pizza. Quel précédent un tel jugement peut-il constituer? Est-ce qu’aux yeux de la loi, une lahmadjoune est une pizza? Et une tourte? Un sous-marin? Ma tranche de beurre de pinottes?

Nous ne sommes pas le seul endroit à se poser la question au point tel que les juges s’en mêlent. Chez nos voisins du sud, le juge de la Cour Suprême Antonin Scalia (originaire de Queens, New York) a déjà prononcé que ce qu’on appelle la « Deep Dish Pizza » ou « Pizza style Chicago » (où la pâte est d’abord couverte de fromage puis d’une immense quantité de sauce tomate et ensuite cuite dans une poêle) n’est pas réellement une pizza. Cela inspira une délicieuse montée de lait à l’animateur du Daily Show Jon Stewart.


La pizza a une si grande place dans l’alimentation américaine qu’elle est considérée comme un légume. En fait, il s’agit plutôt de la sauce tomate qui entre dans la catégorie des légumes : un huitième de tasse équivaut à une demie tasse de légumes frais. Les deux cuillères à soupes présentes dans la sauce à pizza en font donc une portion de légumes.

Qu’elle que soit sa définition aux yeux des juristes, la décision du tribunal a laissé un goût amer à Monsieur Abdallah. Bien qu’il puisse continuer à vendre des focaccias tant qu’elles ne contiennent pas de fromage ni de sauce tomate (donc moins nutritives pour les touristes américains), son chiffre d’affaire a baissé de 45 à 50% environ. Après des dépenses de 250 000$ afin de tout changer son affichage et une récente hausse de loyer de 3000$, il n’a plus les moyens de payer pour les frais légaux qui lui permettraient de défendre sa cause davantage. La prochaine fois que vous passez par-là, achetez-lui donc une focaccia, ça va aider à la digestion.