jeudi 3 juillet 2014

Amazone.qc

Dernièrement, de jeunes héros ont fait les manchettes, que ce soit pour avoir permis de retrouver un bébé kidnappé, ou pour avoir sauvé une fillette de l'attaque d'un essaim de guêpes. L'inspiration m'est alors venu d'explorer davantage l'histoire de l'une de nos plus célèbre héroïne, Madeleine de Verchères.

Marie-Madeleine Jarret de Verchères est née le 3 mars 1678 de Marie Perrot et François-Xavier Jarret de Verchères, seigneur de Verchères. La seigneurie est près du point de rencontre entre la rivière Richelieu et le fleuve Saint-Laurent, un lieu de passage important pour les Amérindiens. La région est donc régulièrement une zone d'affrontements entre colons et Iroquois. Deux frères ainés de Madeleine, de même que deux maris de sa soeur furent tués lors de ces confrontations. Madeleine avait déjà eu l'occasion d'admirer le courage de sa mère, qui en 1690 dû défendre le fort de la seigneurie pendant deux jours en l’absence de son mari, avec l'aide de quelques hommes seulement.

Deux ans plus tard, Madeleine a 14 ans et est devenue l'ainée de la famille. Le 22 octobre, alors que sa mère est à Montréal et son père à Québec, elle eut à son tour à défendre le fort d'une attaque iroquoise. Ce n'est cependant qu'en 1699 que son exploit est mis sur papier, alors qu'elle écrit une demande de pension royale à Madame de Maurepas, femme du Ministre de la Marine responsable des colonies. Le récit sera corroboré entre autre par l’intendant Jean Bochard de Champigny auprès du Ministre de la Marine en 1700. L'histoire de Madeleine se lit comme suit:



Le hasard a fait que me trouvant à l’âge de quatorze ans environ, à quatre cents pas du Fort de Verchères qui est à mon père, à huit lieues de Montréal, dans lequel il n’y avait qu’un seul soldat en faction, les Iroquois qui étaient cachés aux environs dans les buissons, firent tout-à-coup une irruption sur tous nos habitants dont ils enlevèrent une vingtaine. Je fus poursuivie par un Iroquois jusqu’aux portes, mais, comme je conservais dans ce fatal moment le peu d’assurance dont une fille est capable et peut être armée, je lui laissai entre les mains mon mouchoir de col et je fermai la porte sur moi en criant aux armes et sans m’arrêter aux gémissements de plusieurs femmes désolées de voir enlever leurs maris, je montai sur le bastion où était la sentinelle.

Vous dirais-je, Madame, que je me métamorphosai pour lors en mettant le chapeau du soldat sur ma tête et que faisant plusieurs petits mouvements pour donner à connaître qu’il y avait beaucoup de monde, quoiqu’il n’y eut que ce soldat, je chargeai moi-même un canon de quatre livres de balles que je tirai sur eux. Ce coup si précipité eut heureusement tout le succès que je pouvais attendre pour avertir les forts voisins de se tenir sur leurs gardes, crainte que les Iroquois fissent les mêmes coups.


En 1706, Madeleine épouse le lieutenant Pierre-Thomas Tarieu de la Naudière, sieur de la Pérade, et quitte Verchères pour Sainte-Anne-de-la-Pérade. En 1732, elle met par écrit une seconde version, beaucoup plus étoffée et spectaculaire de son récit adressée cette fois au gouverneur de la Nouvelle-France, Charles de Beauharnois de La Boische. Dans cette version le siège dure huit jours et Madeleine est aidée dans ses exploits par une galerie de personnages, dont ses deux jeunes frères, un ex-soldat alcoolique de 85 ans et la famille Fontaine composée de Pierre, sa femme et leurs deux enfants. Ensemble, ils repoussent les attaques de 45 Iroquois. Madeleine prend le commandement du fort, arme femmes et enfants de mousquets, fait plusieurs allers-retours à l’extérieur pour sauver la famille Fontaine, du bétail et même de la lessive. Au huitième jour, un fort détachement de la milice française parti de Montréal mené par l’officier De La Monnerie vient à leur rescousse. Madeleine l’accueille et lui remets les armes mais celui-ci lui remets en disant : « Elles sont en bonnes mains! » Madeleine aurait répondu : « Meilleures que vous croyez! »

Par le fait qu’à cette époque, plus aucun témoin des faits à part Madeleine n’est vivant, personne ne peut contredire les affirmations faites par cette dernière dans cette version du récit. Bien que ce ne sera pas demandé spécifiquement, la lettre avait comme but une augmentation de la pension reçue par Madeleine.

Elle aura par la suite, au cours de sa vie, l’occasion de sauver la peau de son mari à deux reprises contre l’attaque des Amérindiens. Selon un récit de sa petite fille Marguerite de la Naudière, elle aurait défendu le manoir de La Pérade alors que son mari était malade au lit. L'ennemi veut alors s’emparer des lieux mais elle les fait fuir armée de deux fusils qu’elle tire successivement. Cette menace écartée, elle est avertie par l’une de ses servantes que le toit est en feu. Elle sort alors à bout de bras son mari trop faible pour se hisser du lit. Alors qu'elle s’évanouit à ses côtés, une pluie éclate et éteint l'incendie.

C'est ainsi qu'est née la légende. Des récits semblables étaient fréquents à l'époque des premiers colons, comme celui de Françoise-Marie Jacquelin, dite Madame La Tour, qui défendit les siens lors de la guerre civile Acadienne en 1645 et celui de Marie-Anne de Saint-Ours, qui à 16 ans sauva ses frères et sœurs des Iroquois en 1691. Le récit de Madeleine marqua cependant l’imaginaire par sa transgression des rôles masculins/féminins tels qu’acceptés dans la société de l’époque. C’est l’absence du père qui pousse Madeleine (symbole de jeunesse et de virginité) à défendre son corps, son fort, sa patrie.

À l'époque, adopter un costume et un rôle d’homme pouvait être bien vu pour une durée temporaire dans des circonstances extraordinaires, mais pas dans la vie de tous les jours. Sa figure de guerrière amazone devenu un symbole pour les mouvements féministes, certains historiens mirent au grand jour certains aspects plus sombres de Madeleine de Verchères. Outre le fait qu'elle ait possiblement créée de toute pièce certains des aspects de son mythe, on aurait également découvert qu'elle serait la première en Nouvelle-France à acheter un esclave par contrat notarié le 15 juin 1709, un Amérindien du nom de Pascal, et en aurait possédée jusqu’à 13. L’un d'eux s’évada en 1734 mais est rattrapé et dit être battu par ses maîtres. Madeleine fut également considérée comme femme aux mœurs légères. Devenue le sujet de chansons grivoises, elle en poursuit l'auteur en 1730 pour diffamation. Il s'agit de Gervais Lefebvre, abbé de Batiscan!

Décédée le 8 août 1747 à l'âge de 69 ans, la mémoire de Madeleine sera préservée par une statue de Louis-Philippe Hébert inaugurée en 1913 sur les rives du Saint-Laurent à Verchères, considéré comme le plus gros bronze au Canada.

Ses exploits seront également le sujet de l'un des premiers long-métrages québécois en 1922. Son image sera par la suite utilisée pour favoriser le recrutement féminin lors de la Seconde Guerre mondiale ainsi que par le camp du Oui lors du référendum de 1980.

Les exploits de nos jeunes héros modernes passeront-ils le test du temps? Auront-ils une statue à leur mémoire dans 300 ans? Il n'est jamais trop tard pour créer de nouvelles légendes...